Sa famille maternelle d’origine juive et française, son père d’origine indienne Chumash/Esselen, font de Deborah Miranda une métis. Elle est membre de la nation Esselen de Californie car comme beaucoup d’autres auteurs sangs-mêlés, bien que ne reniant pas les apports, bons et mauvais, de son héritage Européen, elle se sent avant tout Indienne. Ses poésies ont été publiées dans des journaux et magazines, dans des anthologies de poésie, avant d’être publiées par la maison d’édition de Joseph Bruchac, The Greenfield Review press. Son recueil Indian Cartography a obtenu le prix des auteurs Indiens d’Amérique du Nord appelé prix Diane Decorah en mémoire de cette femme indienne qui avait toujours aidé et supporté les autres écrivains Indiens.
Dans ses spanerses carrières, Deborah Miranda était étudiante, femme de ménage, professeur pour des enfants handicapés. Elle participe à la revue The Raven Chronicles dirigée par le poète Philip Red Eagle à Tacoma dans l’état de Washington où elle a préparé un diplôme universitaire d’Anglais. Cette jeune femme possède une écriture très émouvante qui témoigne bien des forces vives des peuples Indiens, en une démarche de guérison et d’espoir qui est aussi une continuation des luttes pour la survie de ces peuples.
« Deborah Miranda est une courageuse , une importante nouvelle voix venue dans la littérature Californienne et Indienne. » Janice Gould.
Eveil
» la beauté de l’obscurité consiste en ce qu’elle vous laisse voir »
Adrienne Rich
L’obscurité est ma sœur l’aînée qui m’apprend des chansons
et connaît les constellations lancées au dessus des montagnes noires au doux parfum.
L’obscurité est mon frère le plus petit qui me demande de tenir sa main brune et carrée,
effrayé de sa propre couleur, sans mère, il veut de l’amour.
L’obscurité est ma patrie mon origine, ma tombe – toute l’histoire dont j’ai besoin.
Quand je tresse mes cheveux toutes les tribus récitent les généalogies
entre les mèches. C’est bon de savoir où est ma place et de suivre toutes les pistes encore et encore pour trouver ma voie
en écho, le goût d’une odeur de rivière et de brise
qui ne dépend pas de la lumière pour trouver les os de mes ancêtres :
chaque membre robuste est proche de mon ombre.
Ici dans le noir nation de mon corps j’ai toujours un foyer.
© texte extrait de Indian Cartography édité par la Greenfield Review Press
Du pays Anishinabe : Gerald Vizenor
Il vit à Berkeley, en Californie, où il est professeur à l’université, il vit donc loin du pays Anishinabe (que les colons Américains nommèrent à tort Chippewa) qui l’a vu grandir. Il est membre de la réserve Blanche Terre (White Earth) située dans le Minnesota. Gerald Vizenor est reconnu pour être un auteur aux multiples facettes : romans, nouvelles, poésie dont des Haïku, s’ajoutent à son travail sur les récits Anishinabe. C’est un homme qui a voyagé en Chine et au Japon, il est traduit en Italien, en Allemand et en Chinois. Il est à la fois très enraciné dans la culture Anishinabe, autant qu’un homme sans racines dont l’esprit est toujours en mouvement parce que la vie n’est pas statique, dit-il, et qu’il serait bon philosophiquement de défoncer les routes, de faire exploser toutes les boites et de refuser les limites et les bornages, non avec l’idée de transcendance mais dans l’esprit du comique. « Il a un sens de l’humour, de l’ironie très prononcé et qui se manifeste à chaque instant, qu’il parle ou qu’il écrive » dit de lui Joseph Bruchac. Gerald Vizenor explique sa démarche ainsi : « L’aventure de vivre, de survivre est une chance, et pourtant cela est entre les mains du destin, cela est une situation comique. Le tragique s’occupe de construire des musées, des monuments, s’occupe d’établir des institutions, de déguiser la mort, et c’est un mouvement qui oppresse car il veut tout contrôler. Ce n’est pas ma façon d’aborder la vie, pour vivre comme il me semble bon de vivre, il faut abandonner ces données et les unités de mesures sociales. En premier lieu, nous avons besoin d’un endroit familier où nous retrouver dans les moments difficiles, pour échapper à la confusion et obtenir le détachement nécessaire. Cet endroit n’est pas sur terre, c’est endroit universel beaucoup plus vaste que ne l’est la réalité quotidienne, c’est l’espace que nous apportent les cultures orales et les traditions Indiennes, c’est la place de l’imagination, de la créativité et du Rêve. Là vous trouvez tous les matériaux, tous les outils qui vous permettent de vous situer sur terre. Garder le contact avec cette réserve de rêves vous permet de tenir, de vous soutenir quand les réalités physiques et émotionnelles sont perturbées. Porter cet espace du rêve dans son esprit permet de ne pas souffrir des déséquilibres et de rétablir l’harmonie en soi ».
Dans son travail d’écriture, Gerald Vizenor dit vouloir exercer la bonne pression au bon endroit et au bon moment (grâce à des métaphores et néologismes), cela permet de convaincre le lecteur, « c’est ce qui conclue, caractérise et signe mon travail ». Cela fait référence aux figures de Coyote et de Farceurs traditionnels aussi bien qu’à des thèmes asiatiques. Ce qu’il recherche chez un écrivain c’est l’attitude révolutionnaire qui crée une rupture dans les valeurs culturelles et sociales, il y a du « medecin-man » ou woman dans l’écrivain dit-il, et c’est un rôle de farceur, le mien est compassionnel et comique. « Je pense que le degré le plus élevé d’un être humain est d’être capable de voir inspaniduellement ses propres folies, c’est à dire voir ce qui nous aliène et pouvoir le casser soi-même. »
De nombreux animaux apparaissent dans ses récits, il dit être frappé par notre malaise d’humain à vouloir toujours prouver notre supériorité sur le reste de la création (d’où les expressions négatives comme langue de vipère, sale comme un cochon…) L’animal qui lui semble le plus extraordinaire est l’ours pour sa puissance et son comportement très proche de l’homme. Galdway Kinnel a écrit un fantastique poème intitulé « l’ours » où il montre que l’hibernation peut être comprise à l’échelle humaine comme le moment ou la personne, l’image que l’on a de soi qui nous fait jouer un rôle en permanence, se met au chaud quand il gèle dehors. Ainsi l’observation animale nous apprend et nous révèle notre propre condition humaine. « Les Européens ont célébré les récits de voyages et de conquête, la soi-disant découverte. Chez les médiévaux orientaux, l’objet du voyage était de confirmer ce qui existait déjà, de renforcer les racines de la mémoire culturelle, c’est aussi la mémoire visionnaire actuelle des Indiens, ils ont le même sens du voyage existentiel. Ce que je vois arriver maintenant dans la littérature Indienne, ce sont les références de plus en plus sophistiquées, des expériences qui ont trait aux événements traditionnels. Mais qu’est ce que la littérature Indienne ? Pour moi le contenu doit suggérer quelque chose de différent que j’appelle « vérisme mythique ». La vérité mythique, quelque chose de vivant dans le travail écrit et qui délivre une vérité. Cela vient de l’utilisation métaphorique traditionnelle de l’énergie et des références. N. Scott Momaday (auteur Kiowa) le possède, Leslie Silko ( auteur Pueblo Laguna ) aussi. Il n’y a pas de limites pour faire référence aux événements tribaux et traditionnels. Et ce n’est pas le discours qui compte mais comment un personnage par son attitude, apporte cette vérité mythique. Pour moi c’est l’attitude comique. Cela a à voir avec les façons dont les tensions, dont les problèmes de temps, sont résolus; comment le sens communautaire de la survie, comment l’esprit comique s’empare de l’imagination. Tout cela est subtil, aucune guerre n’est déclarée, aucun manifeste ne se dégage. Vous pouvez trouver un esprit comique dans toutes les littératures, mais elles n’ont pas les mêmes caractéristiques que dans la littérature Indienne ».
Le travail poétique de Gerald Vizenor , essentiellement des Haïkus, respecte et va dans le sens de la tradition Chippewa des chants des « rêveurs ».
Automne
Réserve White Earth Minnesota (réserve des Indiens Chippewa)
brise d’octobre les volets d’avant en arrière papillons de nuit
Clear Lake Minnesota la lune farceuse s’attarde à l’épouvantail
couronne princière
Hiver
Kyoto Japon des flocons géants
incendient la tasse de thé temple Bouddhiste
ST Paul Minnesota d’imposants flocons
glissent sur la baie vitrée dentelle Indienne
Printemps
Oakland Californie La lune de marsmiroite sur les trottoirs
traces d’escargots
White Earth Minnesota monceaux d’écume
en aval de la cascade silence des flots
Eté
Clear Lake , Minnesota un grand héron bleu
debout dans les basses eaux un chat sur le quai
Seven Pass, Californie un merle d’eau
plonge dans un torrent froid hors d’haleine
© extraits de Envol de grues. Cranes Arise Haïku scenes, édité en mai 1999 par Nodin Press Minneapolis, Minnesota , U.S.A.
D’origine Mohawk et Seneca : Maurice Kenny
Né en 1929 entre le fleuve ST-Laurent et les blacks rivers, Maurice Kenny vit à Saranac Lake, dans le nord de l’état de New-York. Il a co-édité le journal de poésie Contact II, il est aussi le directeur des éditions Strawberry Press qui publient des auteurs Indiens, ainsi que le directeur du magazine Many Moons. Il a longtemps collaboré à des études sur la littérature indienne et notamment pour Akwesasne Notes. Il est souvent invité dans les universités et dans les centres d’art en tant que poète, soit pour enseigner, soit pour dire sa poésie. Il a été récompensé par des distinctions littéraires Américaines dont le prestigieux American Book Award pour son ouvrage The Mama Poems; Wendy Rose, poétesse, enseignante, et critique de poésie Indienne dit de lui : « Quelques auteurs, quelque soit leurs origines ethniques, sont destinés à rester dans la mémoire des courants littéraires de l’histoire; je pense que la contribution de M. Kenny en tant que poète est de rester un auteur phare de cette génération. Il écrit au centre, comme nos anciens l’auraient dit. »
D’origine Mohawk et Seneca, M. Kenny est très attaché à sa culture Iroquoise. Mais il avoue que l’auteur qui l’a mis sur la voie de la poésie fut Dylan Thomas. « Pour moi il était parfait, c’est à mes yeux le plus grand lyrique du vingtième siècle, c’était un chanteur. Ayant de plus vécu, lui et sa famille, dans la pauvreté, bien que reconnu et publié, son histoire me touche car je suis sensible à ceux qui comme nos peuples, ont eu faim. » … « De treize à dix sept ans, Whitman m’a influencé, car sa façon de rythmer, le débit de son discours et sa façon d’être lui aussi un chanteur m’attirait. » (citation extraite de « survival this way » de J. Bruchac dans la collection Suntracks books, University of Arizona Press)
Maurice Kenny dit essayer d’écrire selon la tradition orale, selon la tradition Indienne et plus spécifiquement Iroquoise. Il n’aime pas le terme de poème qui pour lui fait référence à des règles de versification et à ses années d’études. Il veut évacuer ces notions qui l’encombrent. Il préfère parler de pièce, ou de morceaux, certains de ses travaux sont construits selon le modèle des chants et danses sociales pratiquées le samedi soir dans les longues maisons Iroquoises. Il affirme n’être pas un auteur narratif. Il a également écrit un ouvrage (I am the sun) construit selon le thème de la danse des fantômes en hommage à la nation Lakota (Sioux) pendant l’occupation du site de Wounded Knee en 1973, et qui véhicule toutes les colères et toutes les frustrations ressenties par les peuples Indiens.
Apache
Guerrière à la Yamaha hôte des chênaies sauvages
dans la nuit enfumée toi rescapée de la réserve de ses regards et de ses lois …. tes doigts plein de gentillesse
retournèrent les draps ….. Guerrière aux tresses
avec des mots melons tu fis taire les hululements et laissa toute appréhension dans le wicki-up
ta bouche de la couleur des couchers de soleil en Arizona
ton corps impatient plus impatient que le lézard se glissant
sur les rochers du désert … Apache qui compta un coup sur un Mohawk
et quitta le lit victorieuse.
Wicki-up : abri traditionnel fait de branchages des Apaches lors de leurs déplacements.
Compter un coup : les indiens avant l’arrivée des blancs, n’avaient pas de mot dans leurs langues pour désigner la guerre. Les affrontements se réduisaient à des escarmouches pendant lesquelles le guerrier devait montrer sa bravoure et son habileté en comptant un coup sur « l’adversaire ». C’est à dire à l’aide d’un bâton à bout rond toucher celui-ci.
© Texte extrait du recueil « Between two rivers », édité en 1987 chez White Pine Press